Dans son article intitulé « Wants not Needs », Ethan Schutz poussant le raisonnement de l’hypothèse du Choix, considère qu’il n’y a pas de besoins mais seulement des souhaits.
Cette perspective remet en question la notion de « besoin » telle qu’elle a été vulgarisée par plusieurs approches et notamment par la CNV[1]. Cela tendrait à considérer que nous n’avons que des besoins physiologiques, qui chez l’adulte se résument aux besoins dont dépend le fait d’être en vie, c’est-à-dire : respirer, boire, dormir, manger. Tous les autres « besoins » ne seraient en fait que des souhaits, conscients ou inconscients ; conformément au concept du Choix cher à Will Schutz[2].
Bien qu’ayant fait le choix conscient d’adhérer à la démarche de Will Schutz, la notion de besoin véhiculée par des approches telles que la CNV continuait par moments à s’interposer dans ma pratique et à me poser des difficultés.
Or, j’ai pu constater récemment à quel point cette notion de « besoin » peut être handicapante au sens où elle met la personne dans l’impuissance et l’irresponsabilité par rapport à son propre « besoin ». En effet, tout se passe alors comme si le « besoin » constituait La Vérité, une force irrésistible, imprévisible et presque extérieure par rapport à soi ! Le « besoin » me met alors dans l’incapacité à choisir et à faire quoi que ce soit et je ne peux même plus être libre par rapport à mon propre « besoin » ! Si l’on pousse la logique du besoin, on pourrait presque entendre le violeur se défendre devant le tribunal : « Mais Monsieur le Président, j’ai obéi à mon besoin ! Il a été plus fort que moi , je ne suis pas responsable ! »…
Tout va bien dans le meilleur des mondes lorsque nous sommes entre gens « bienveillants » et que l’autre, n’ayant pas de « besoin » impérieux, entend le « besoin » qui est le mien. Cependant, lorsque nous nous retrouvons dans une relation en situation de tension, nos « besoins » vont s’opposer et se faire face. On se retrouve dans une escalade où chacun va pouvoir se réfugier derrière son « besoin » pour justifier sa demande (son exigence ?), le « besoin » étant alors posé comme incontestable, indiscutable, comme La Vérité. Notre « besoin » revendique alors une toute-puissance sur l’autre.
Or, s’il est clair que l’autre ne peut contester ou discuter ce que je ressens comme un « besoin » (tout comme il ne peut pas contester un sentiment que je ressens), il n’en reste pas moins que j’ai tout loisir de le reconsidérer pour moi-même.
Ce que je considère comme un « besoin » est-il utile ? Quelle est sa fonction pour moi ? et si j’avais un bénéfice secondaire issu de ce « besoin », quel serait-il ? Puis-je choisir un « besoin » différent ou renoncer à ce « besoin » ?
On voit bien comment toutes ces questions qui me permettent de reconsidérer le « besoin » m’aident à récupérer une capacité d’auto-détermination, de choix par rapport à lui, à ne pas devenir dépendant.
Je passe alors d’une situation d’impuissance par rapport à mon « besoin », à une liberté par rapport à celui-ci.
De « c’est mon besoin », l’affirmation devient « c’est le besoin que je choisis d’avoir ».
La question devient alors profondément simple et puissante : « qu’est-ce que je souhaite, ici et maintenant ? ». Elle ouvre une grande fenêtre de flexibilité et d’adaptation mais aussi toute la dimension de la conscience, de l’implication et de la responsabilité.